Les pensées dysfonctionnelles
Le terme distorsion cognitive a été introduit par le psychiatre américain Aaron T. Beck (1967). Il désigne des façons de traiter l'information qui résultent en erreurs de pensée prévisibles et qui ont souvent pour conséquence d'entretenir des pensées et des émotions négatives.
1 - La pensée dichotomique ou principe du « tout ou rien »
C'est le fait de penser que si une chose n'est pas exactement comme nous le souhaitons, alors il s'agit d'un échec. Il s'agit d'une perte totale des nuances. Cette erreur de perception est souvent associée au perfectionnisme. Elle conduit fréquemment à la crainte de l’échec. Et si l’on n’atteint pas la perfection, alors on se perçoit comme un incapable.
Par exemple, « J’ai raté cet examen, donc je suis nul et incapable de faire des études. » « Si je n'ai pas été embauché, c'est que je ne vaux rien », « Si je n'ai pas 20 sur 20 à cet examen, c'est que je suis nul ». Dans ces conditions, avoir 18 sur 20 à un examen, ou n'être « que » le second de sa promotion peuvent être perçus comme des échecs.
2 - La surgénéralisation.
C’est le fait de construire des règles pour son comportement futur à partir de quelques évènements négatifs passés. Cette distorsion cognitive consiste à conclure spontanément à la répétition future d’une situation défavorable. De cette manière, un seul évènement négatif apparaît comme faisant partie d’un cycle sans fin de déceptions.
Par exemple : « Je viens de me disputer avec mon épouse, donc nous ne pourrons jamais avoir de vie de couple heureuse. », « Elle n'a pas voulu sortir avec moi ; je vois bien que je n'arriverai jamais à sortir avec une fille ».
Avec la surgénéralisation, un seul évènement négatif peut influencer tout le comportement à venir d'une personne qui se voit alors vouée à l'échec. On peut distinguer 2 grands types de surgénéralisation :
2-a : La surgénéralisation verticale : un échec dans un domaine à un moment donné, et c'est tout le domaine en question (passé, présent et futur) qui est perçu comme un échec et perdu d’avance.
Par exemple : « Elle ne veut pas sortir avec moi. J'ai toujours tout raté en amour, je serai seul et malheureux toute ma vie ».
2-b : La surgénéralisation horizontale : c'est le fait de lier entre eux des problèmes différents, là où ça n'a pas lieu d'être. Un échec dans un domaine va amener la personne à voir des échecs dans tous les domaines.
Par exemple : « J'ai été licencié de mon entreprise, ce n'est pas étonnant, je rate tout ce que je fais dans la vie ».
3 - L'abstraction sélective ou Filtre
C'est un filtre mental qui ne laisse percevoir que le côté négatif des choses. On se focalise sur un détail déplaisant en dégageant une conclusion. Ce filtrage de la pensée peut fausser sévèrement la réalité.
Par exemple : une personne passe une soirée avec des gens agréables et intéressants, elle s'amuse, elle danse, lorsque quelqu'un renverse une boisson sur son pantalon. À cause de cet incident, elle en conclut que la soirée est totalement gâchée. « Un athlète gagne une rencontre sportive, mais au lieu de s'en réjouir, il passe plusieurs jours à ressasser les erreurs qu'il a commises pendant la compétition et s'en fait le reproche. »
4 - La disqualification du positif ou rejet du positif :
C’est le fait de transformer une expérience neutre ou positive en expérience négative. Cette distorsion cognitive consiste donc à rejeter tous les évènements positifs en affirmant qu’ils ne comptent pas. Les personnes victimes de telles illusions s’en servent parfois inconsciemment pour préserver une image négative d’elles-mêmes et de la vie, malgré la présence d’éléments positifs. Cette façon de penser est particulièrement destructrice et peut plonger la personne dans un désespoir intense.
Par exemple : « Mes amis m’invitent à sortir avec eux, mais ils le font tous par pitié », « on me fait un compliment, j'en déduis que «tout le monde sait que c'est faux, on me dit ça juste pour me faire plaisir », ou encore : « Le soutien des gens qui m'aiment ne compte pas. Ils ne connaissent pas ma vraie nature ».
5 - Les conclusions hâtives ou le principe de l'inférence arbitraire
C’est le fait d’imaginer des scénarios noirs ou catastrophes sans preuve et d’y porter crédit. Cette distorsion cognitive consiste à aller au-delà de la preuve et parvenir à une conclusion qui fait paraître les choses bien pires qu’elles ne le sont en réalité. Cette forme de distorsion établit donc des « faits » sans se soucier de leur véracité. Pour les gens déprimés ou anxieux, les conclusions hâtives sont presque entièrement négatives. Ceci les amène à prévoir le pire, en ayant la conviction que les circonstances démontrent sans l’ombre d’un doute qu’ils ont raison. La prédiction est alors considérée comme une certitude, même si elle est totalement déconnectée de la réalité.
Par exemple : « Suite à un attentat terroriste à étranger, certains croient qu’ils seront nécessairement attaqués. »
On peut en distinguer 2 sortes :
5-a : Les lectures des pensées d'autrui : C'est lorsque l'on croit connaître les pensées des autres en se fiant à de maigres indices.
Par exemple : « Je lui ai laissé un message, mais il ne m'a pas rappelé, il ne me considère plus comme son ami », ou bien : « Mon supérieur m'a regardé de travers, il pense certainement me licencier ».
5-b : Les erreurs de voyance : faire des prédictions pessimistes et les considérer comme vraies.
Par exemple : « Je vais devenir folle », « Cette thérapie ne marchera pas, je suis incurable », « Je vais rester seul toute ma vie. »
6 - Exagération (dramatisation) et minimalisation
C’est le fait d’exagérer ses erreurs ou faiblesses et de minimiser ses points forts. Ces deux phénomènes incitent la personne qui en est victime à se sentir sans valeur et inférieure aux autres.
Par exemple : « J’ai été rejeté par ma petite amie, donc je suis moche et personne ne voudra de moi. »
Exemple d'exagération : « J'ai fait une erreur au travail, tout le monde va le savoir et je serai complètement ridicule aux yeux de tous. »
Exemple de minimalisation : « J'ai trouvé la solution au problème, mais c'est simplement parce que j'ai eu un coup de chance ».
7 - Le raisonnement émotionnel
C'est le fait de se servir de ses propres sentiments et émotions comme s'il s'agissait de preuves. Cette distorsion cognitive consiste à présumer que ce que l’on ressent émotionnellement correspond nécessairement à la réalité. Cette façon de raisonner peut conduire à des erreurs sévères, car nos émotions sont de mauvais guides pour évaluer objectivement une situation.
Par exemple : « Je me sens désespéré, donc mes problèmes doivent être impossibles à résoudre », « Je ne me sens pas de taille à affronter cette situation, donc je suis un perdant », « Si je me sens dégoûté de ce monde, c'est parce qu'il n'a rien à m'offrir de bien », « Si je suis angoissé tout le temps, c'est bien qu'il y a quelque chose qui ne va pas ».
8 - Les fausses obligations ou les « dois » et les « devrais »
C’est le fait de se fixer arbitrairement des buts à atteindre (je dois, je devrais…). Cette distorsion cognitive consiste à attribuer à soi et aux autres des obligations exagérées ou totalement inventées. Le fait d’attribuer des « dois » et « devrais » aux autres provoque souvent des sentiments de déception. Certains vont même jusqu’à rejeter les personnes qui se comportent mal selon leurs critères arbitraires.
Par exemple : « Tout le monde devrait faire de l’exercice physique. Donc tous ceux qui n’en font pas sont paresseux », « je dois absolument faire le ménage chez moi ».
Dans le cas probable où la personne n'atteint pas ses objectifs, elle se sentira coupable. On peut également appliquer cette règle pour les autres (on me doit…).
Par exemple : « Après tout ce que j'ai fait pour lui, il pourrait au moins être reconnaissant ». Cela conduit à un sentiment d'amertume, de ressentiment, et/ou à l'idée qu’elle est la seule personne à se conduire convenablement.
9 - L'étiquetage
Il s’agit de jugements définitifs et émotionnellement chargés que l'on porte sur les autres ou sur soi-même. Cette distorsion cognitive est une forme exagérée de généralisation. Il s’agit d’évaluer une personne d’une manière intransigeante et chargée d’émotion. De tels jugements sommaires ont pour effet de décrire les gens en des termes excessifs.
Par exemple : « Cet homme est un idiot » ou « cette femme est égoïste ». En résumé, il s’agit d’accoler une étiquette catégorique aux gens dont le comportement nous déplaît ou nous fait peur. Ce qui peut avoir pour effet de les rejeter sans raison valable.
Par exemple : « Cette personne est un monstre » ou dire « Je suis complètement nul » au lieu de dire « J'ai fait une erreur ».
10 - La personnalisation
C’est le fait de se sentir responsable du comportement des autres. Il s’agit ici de s’attribuer la responsabilité de situations pénibles sans en être la cause.
Par exemple : Penser que : « Je suis l’unique cause de la dépression de mon conjoint » ou « C’est entièrement de ma faute si mes enfants sont indisciplinés », « Ce qui arrive est ma faute ».
La personnalisation conduit à un sentiment de culpabilité. C'est l'erreur commune consistant à penser pouvoir gérer la vie des autres (alors qu'on ne peut que parfois l'influencer).
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Patco (vendredi, 24 avril 2020 18:20)
Merci pour ce texte.
Je trouve intéressant de le mettre en parallèle avec les notions de filtres physiologique, sémantique et psychologiques utilisés par notre cerveau pour construire notre réalité.
Nous filtrons la réalité en permanence pour la rendre compréhensible à moindre effort, dans une logique d'adaptation . Sur cette re interprétation de la réalité de greffe les distorsions dont vous parlez dans cette article. Et ainsi que l'a montré l'analyse transactionnelle " la carte n'est pas le territoire".
A propos du point 8 : les fausses obligations : peut on les rapprocher de la notion d'injonction et de drivers, développée par C.Steiner et T Kahler ?
CabinetHPC (samedi, 25 avril 2020 00:23)
Aaron T. Beck s'inscrit dans le courant cognitif des thérapies comportementales et cognitives (TCC) (2e vague ) spécialiste de la dépression. Les drivers et injonctions sont issus de la « matrice de scénario de Berne (à l’origine de L’AT dont l’influence freudienne est marquante) et Steiner. Comme le note Goulding, « Certains thérapeutes d’AT considèrent le patient comme victime de ses parents et croient que le meilleur moyen de lui faire abandonner son injonction est de l’encourager à les renier. Le patient ne peut abandonner son injonction tant qu’il se préoccupe de ses parents : il ne peut fonctionner de manière autonome tant qu’il n’a pas cessé de rejeter sur eux la responsabilité de son propre comportement » Goulding considère cependant que le parent est responsable de l’injonction : « ... Un individu reçoit son injonction de son parent qui l’implante en lui par des caresses », il reste ainsi dans la ligne de Berne : « Les injonctions sont une défense ou un ordre négatif venant d’un parent ».
Le point 8 : Les fausses obligations ou les « dois » et les « devrais » se retrouvent souvent chez les perfectionnistes et hauts potentiels étant enclins à la dépression. Je pense que l’on peut y retrouver des messages parentaux « drivers et injonctions » pouvant y correspondre ainsi que dans le cas où les parents présenteraient des pathologies psychologiques. Maintenant, on doit prendre en compte aussi l’autonomie de l’enfant. Il doit être d’accord avec l’injonction, qu’il décide d’y obéir ou non pour que l’injonction ait du pouvoir sur lui. La stigmatisation des parents et notamment de la mère me semble souvent trop exagérée à part dans les cas extrêmes de maltraitance, pathologies…
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